Devant la justice, Bolsonaro “baisse le ton”, mais réfute toute tentative de putsch
Le duel “le plus attendu” du Brésil s’est enfin joué, mardi 10 juin, au sein de la première chambre du Tribunal supérieur fédéral (STF) à Brasilia, devant les caméras qui retransmettaient la séance en direct, rapporte la correspondante du quotidien espagnol El País.
Sur le banc des accusés, l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro, 70 ans, ancien capitaine de l’armée et nostalgique assumé de la dictature militaire (1964-1985), inculpé avec sept coaccusés – dont d’anciens ministres et des militaires de haut rang – pour un projet de coup d’État visant à le maintenir au pouvoir après sa défaite face à Lula da Silva à la présidentielle de 2022.
Face à lui, menant l’audition, le juge Alexandre de Moraes, 56 ans, bête noire du clan bolsonariste, accusé à maintes reprises par Jair Bolsonaro de “persécution politique”, mais que “la moitié du Brésil” considère comme le “principal rempart de la défense de la démocratie”.
Pour El País, l’ancien dirigeant a tenté de transformer son audition de plus de deux heures en “meeting” politique. À la première question du juge, Jair Bolsonaro a répondu par un “long discours”, dans lequel il a énuméré les réalisations de son mandat présidentiel (2019-2022), se lançant dans la “typique guerre des récits” dans laquelle il “aime se mouvoir”. Le leader d’extrême droite a aussi cherché à minimiser l’importance des indices et des preuves réunis contre lui et s’est “retranché” derrière ses “excès rhétoriques” et son tempérament.
“Cette hypothèse de coup d’État n’a même pas été envisagée par mon gouvernement”, a affirmé Jair Bolsonaro face au juge. Pour la première fois, il a cependant admis avoir rencontré les hauts responsables des forces armées après sa défaite électorale pour étudier les “options possibles”, pour contester le résultat du scrutin, mais “sans sortir du cadre de la Constitution”, dont il avait d’ailleurs posé un exemplaire sur son pupitre.
Sans avoir trouvé aucune preuve de fraude, “nous avons abandonné toute possibilité d’action constitutionnelle” et “avons accepté le crépuscule de notre gouvernement”, a-t-il assuré.
Jair Bolsonaro est aussi resté “évasif” sur le projet de décret présidentiel découvert en janvier 2023 par la police fédérale au domicile de son ancien ministre de la Justice, observe le quotidien Folha de São Paulo.
Ce document, qui aurait été modifié et approuvé par l’ancien dirigeant, prévoyait d’instaurer un état d’urgence dans le pays après la présidentielle de 2022, de convoquer de nouvelles élections et de faire arrêter le juge Alexandre de Moraes, qui présidait alors le Tribunal supérieur électoral.
Interrogé par le magistrat à ce sujet, Jair Bolsonaro s’est contenté de répondre que le texte avait été “affiché rapidement sur un écran” lors de la réunion avec les commandants des forces armées, évoquant des conversations “assez informelles”.
“Il n’a pas dit qu’il ne souhaitait pas un putsch, mais qu’il n’y avait pas […] de ‘base suffisamment solide’ pour cela”, souligne un chroniqueur du portail d’informations Uol, qui évoque un ex-dirigeant “visiblement mal à l’aise”.
C’est “un autre Jair Bolsonaro” qui s’est présenté au STF, abonde une journaliste politique du quotidien O Estado de São Paulo. “Sans son style explosif habituel”, il “a baissé le ton” et cherché à “limiter sa participation à la tentative de coup d’État à une série de critiques” sur les urnes électroniques et a même “présenté ses excuses” au juge Alexandre de Moraes pour l’avoir accusé, sans preuves, d’avoir reçu des pots-de-vin pour truquer la présidentielle.
Inéligible jusqu’en 2030, l’ancien dirigeant est “même allé jusqu’à faire une blague” au magistrat en l’invitant à être “son vice-président” lors de la prochaine élection, en 2026. “Je décline”, a répondu le juge, esquissant un léger sourire.
“Le ton entre victimisation et camaraderie forcée adopté par Bolsonaro face à Moraes” risque d’empêcher l’ex-président de mobiliser sa base de supporteurs, “de plus en plus dispersée”, pour le défendre en cas de condamnation, estime la journaliste et chroniqueuse Vera Magalhães dans les colonnes d’O Globo. Selon elle, l’audition de Jair Bolsonaro a donné à voir une “démonstration plus qu’éloquente que le capitaine connaît le destin probable qui l’attend et comprend qu’il ne pourra pas rester indéfiniment le maître du jeu de la droite”.
Car, pour la chroniqueuse, rien de ce qui s’est joué au cours des deux premiers jours d’audition au STF ne devrait faire infléchir un verdict, attendu en fin d’année, qui semble déjà “inévitable” : la condamnation de ceux que le parquet considère comme le “noyau dur” du complot putschiste, et qui encourent jusqu’à quarante-trois ans de prison.
Courrier International